Rapprochement Franco-Allemand (1) - Page 2

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2. Le patriotisme de Charles Bernardin

"Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène"

Jean Jaurès.

Le patriotisme de Bernardin ne fait aucun doute. Nous en avons de nombreux témoignages. Toutes les positions qu'il affiche en Loge sont conformes au patriotisme des Franc-maçons de l'époque. A Saint Jean de Jérusalem comme ailleurs, on est patriote. Le samedi 1er août 1914, il consigne dans ses notes l'élan patriotique qui accompagne la mobilisation : "A peine la séance est-elle ouverte (celle du Conseil des notables de Pont-à-Mousson) qu'un gendarme apporte un pli cacheté que le maire ouvre au milieu d'une attention anxieuse : c'est l'ordre de mobilisation générale. Un cri de Vive la France ! part spontanément ; l'émotion est à son comble". Il ne s'agit pas là probablement d'une réaction belliciste mais bien plutôt d'une simple réaction patriotique (14). Bernardin évoque ensuite l'appel de Raymond Poincaré, président de la République, à la nation française : Le gouvernement "compte sur le patriotisme de tous les Français et sait qu'il n'en est pas un seul qui ne soit prêt à faire son devoir. A cette heure, il n'y a plus de partis : il y a la France immortelle ; la France pacifique et résolue. Il y a la patrie du droit et de la justice, tout entière unie dans le calme, la vigilance et la dignité".

Le mercredi 5 août nous dit Bernardin, "le Conseil tint son assemblée quotidienne à 8 heures, comme d'habitude. Après la lecture du message du Président de la République, monsieur Linge proposa de crier avec le gouvernement : Vive la France ! D'une seule voix, tous les notables acclamèrent la patrie". Oui, ajoute Bernardin, Vive la France ! Jamais cri ne fut plus de circonstance que ce jour-là". Il évoque Poincaré parlant de l'agression allemande, de la réaction de "notre belle et courageuse armée", de l'union sacrée des Français, de la vocation de la France à représenter une fois de plus devant l'univers "la Liberté, la Justice et la raison". Certes Poincaré n'est pas Franc-maçon mais les valeurs qu'il exalte en la circonstance sont bien celles dans lesquelles se reconnaît la Franc-maçonnerie. En outre, ajoute Bernardin, quand on annonce aux notables la prise de Mulhouse, l'allégresse est générale et l'on fait immédiatement placarder la nouvelle en ville. Il exprime enfin sans réserve son émotion quand le mardi 15 septembre 1914, Pont-à-Mousson est libéré après une brève occupation : "Cette fois, on sentait que le cauchemar était fini. La Patrie venait de reprendre sous son égide la Ville de Duroc et de Fabvier, elle ne pourrait plus se résoudre à l'abandonner... Et tous, frissonnants d'émotion, sentaient confusément, qu'étant donné l'heure tragique, quelque chose de grand apparaissait là-haut...!".

Nous avons là, rassemblés, tous les éléments qui fondent le patriotisme d'un Bernardin. Mais ici, la patrie qu’il défend, c'est celle que nous a léguée la Révolution, c'est la République, le pays des Droits de l'Homme...

Les Frères de "Saint Jean de Jérusalem" sont patriotes, ils comptent même parmi les artisans de la cause pacifiste, ils le montreront au cours de la guerre de 1914-1918. On en a conservé plusieurs témoignages dont celui du Frère Thiriet sur le courage et l’engagement d’un Frère comme Lucien Larcher (15). Le Frère Hinzelin, auteur de la "Guerre du Droit", que nous avons déjà cité, a, quant à lui, fait preuve d’un courage exemplaire pendant les hostilités, courage qui lui valut deux citations. L’attitude des Frères s’explique également par la distinction très nette qu’ils firent entre guerre d’agression et guerre défensive. A la première, il fallait répondre par la mobilisation, à l’autre par les armes de la propagande et du pacifisme. Il n’en était pas moins difficile et courageux de lutter pour la paix quand les populations des provinces perdues réclamaient justice. Mais les Maçons, Bernardin en premier lieu, ne pouvaient considérer que l’amour de l’humanité signifiait haine de la patrie.

3. Charles Bernardin et le pacifisme

"C’est une œuvre éminemment patriotique que de chercher à supprimer la guerre..."

Nous l'avons vu cependant, la position de la gauche républicaine, des radicaux, des Franc-maçons dans leur grande majorité a évolué vers des positions pacifistes. A l'aube de la première guerre mondiale, alors que la tension monte et que les prémisses du conflit sont bien présents, Bernardin se refuse encore à croire à la possibilité de la guerre. "Malgré tout, quelques uns croient encore que les choses s'arrangeront et que la guerre ne sera pas déchaînée ; je suis de ceux là". Le mardi 4 août, Bernardin insiste : "Vers midi, on raconte que des uhlans ont enlevé des gendarmes dans la gendarmerie même de Nomény, et cette nouvelle est confirmée par des témoins oculaires. Cela constitue bien le casus belli ; mais d'aucuns pensent encore qu'il y a eu excès de zèle de la part d'une patrouille allemande, que celle-ci sera désavouée et que les choses s'arrangeront quand même". Puis il s'interroge : "Aurons nous la guerre, oui ou non ?"

On le voit, jusqu'au bout, et même contre ce qui apparaît bientôt comme une évidence, Bernardin se refuse à croire à la guerre. Les événements vont cependant prendre le dessus et arrivera un temps où la réalité de la guerre s'imposera. Amer il constate : "Enfin, cette fois, c'est bien la guerre et il faut que ceux qui, malgré tout, se refusaient à voir sombrer leur rêve de fraternité universelle, en prennent leur parti". C'est naturellement à lui-même que cela s'adresse directement. Bernardin n'aura pas de mots assez durs pour stigmatiser "le pire fléau de l'humanité ...un coin de l'enfer de Dante... proclamant bien haut la gloire du Dieu imbécile et scélérat de la guerre..."

Dans le récit de Thiriet sur sa visite à Bernardin, on puise de précieux renseignements sur le pacifisme qui anime les deux hommes. Ce texte est d’un grand intérêt philosophique et moral. Il est malheureusement trop long pour être reproduit ici dans son intégralité. Nous n’y ferons donc que quelques emprunts.

"Nous nous rappelons, en effet, le rêve d'harmonie et de paix humaine, depuis si longtemps caressé, et pour lequel nous avons agi ensemble, dans l'espoir de voir grandir assez le mouvement pacifiste pour faire reculer le spectre de la guerre... Allons-nous maintenant renier notre idéal, parce que, malgré nos efforts, la réalité d'aujourd'hui semble lui donner un sanglant démenti ?... Le pacifisme, l'ignoble pacifisme, comme l'appelle monsieur Maurice Barrès (17), mais par une mutuelle volonté d'entente et une saine appréciation de leurs véritables intérêts". Il n’est pas question pour autant pour eux d’abandonner leur patriotisme à cette œuvre hautement humaine du rapprochement franco-allemand, conscient qu’ils sont de ce que la paix en Europe en dépend.

Ils déclarent alors "la guerre à la guerre" (19).

Dans un des discours prononcés à l’occasion de la 4e manifestation internationale par le Frère Wilh, vénérable de "Zum Tempel des Friedens" à Metz, le pacifisme de Bernardin est souligné. "A notre devise nous sommes toujours restés fidèles. Nous étions présents à Luxembourg lorsque notre cher Frère Bernardin développa son programme pacifiste...". Les témoignages en sont trop nombreux pour pouvoir être rapportés. Tous sont unanimes pour reconnaître en notre Frère le coryphée du mouvement pacifiste ayant trouvé son apothéose dans le rapprochement des Maçonneries allemande et française.

Nous verrons, dans la deuxième partie de cet article, dans un article intitulé "Charles Bernardin et le rapprochement maçonnique franco-allemand" en quoi l’action de ce dernier a été déterminante dans cette grande œuvre du rapprochement entre les Maçonneries des deux pays. Nous verrons notamment la pugnacité dont il fera preuve dans les moments les plus difficiles.