Le Lycée de filles - Page 3

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La lutte de l'Eglise et de la droite à Nancy contre le lycée de filles

Le Bulletin de l'Union Catholique du mardi 15 août 1899 évoquant la construction du lycée de filles nous dit qu'elle renvoie à la haine des francs-maçons contre l'Eglise, ces derniers poursuivant systématiquement leur plan de destruction chrétienne et sociale... On retrouve tout ici, à peu près les mêmes arguments et notamment la xénophobie des catholiques contre Hyppolite Maringer dont on dit à tort qu'il est franc-maçon. Il est appelé par le Bulletin de l'Union Catholique "l'Homme du lycée de filles", celui qui porte la responsabilité d'un véritable vol commis au préjudice des ouvriers. Car c'est un vol, ajoute le journal, d'enlever, contre sa volonté, un demi million de francs à une ville pour en faire profiter non pas la généralité des 80 000 habitants mais une minorité de 80 filles de juifs ou de francs-maçons...

Toujours, on le voit, les mêmes arguments, la même démagogie et l'antisémitisme de l'Eglise... C'est strictement le pendant du numéro unique dont nous allons parler et dont il est assez vraisemblable que les mêmes en soient les auteurs.

Le journal reconnaît que l'irréparable est fait : "le lycée de filles se construit, et nous le payerons, quoi que nous fassions. Du moins sachons punir". Le 1er novembre 1899, il titre : A la santé de monsieur Maringer... Chaque fois que les ouvriers de Nancy boivent un litre de vin (dix centimes d'octroi), ils ne doivent pas manquer de trinquer à la santé de monsieur Maringer et de ces demoiselles juives et maçonnes du lycée de filles, une partie de leurs deux sous d'octroi devant être employé à parfaire l'éducation des filles de la bourgeoisie de Saint-Jean de Jérusalem.

Etonnant assaut de l'Eglise contre la bourgeoisie au bénéfice des ouvriers ! On doit cependant comprendre qu'il s'agit des filles des maçons de Nancy qualifiés ici de bourgeois, faute de quoi on n'y perd son latin. Il en est de même de l'argument des deux sous d'octroi sur le litre de vin. L'Eglise et l'évêque oublieraient-ils le combat qu'ils viennent d'engager contre l'alcoolisme, l'un des fléaux de la classe ouvrière (5) ?

Un "numéro unique" sur le lycée de filles est largement distribué à Nancy. Quels en sont les commanditaires ? Nous ne le savons pas exactement mais il n'est pas difficile de le deviner. Voyons les arguments qui sont ici développés : Une municipalité n'est rien si elle n'est le fidèle interprète de la volonté du conseil municipal. Un conseil municipal n'est rien s'il n'est le fidèle interprète des volontés du corps électoral municipal, représentant la ville...

L'argument est transparent : le lycée de filles n'est pas demandé par les citoyens de Nancy, le conseil l'a décidé sans concertation. On va donc poser sans relâche le problème du financement du lycée.

La ville avait un vif besoin d'un lycée de filles... elle est dépourvue d'établissements d'instruction supérieure pour les jeunes filles : elle n'en avait guère plus d'une vingtaine. Bref, il y avait urgence... C'est qu'à la nouvelle du vote, il s'était élevé dans la population une telle clameur que les plus chauds partisans du lycée se le tinrent pour dit... On était à la veille des élections municipales. De tout temps, la crainte de l'électeur a été le commencement de la sagesse...

Bref, on explique qu'en période électorale on avait cessé d'en parler, pour ne pas effrayer l'électeur... On pensait donc que l'affaire était enterrée ! Eh bien la ville de Nancy va-t-elle dépenser environ 500 000 francs d'entrée de jeu et payer chaque année une quarantaine de mille francs, pour barbouiller de physique, de chimie, et d'histoire naturelle, quelques douzaines de jeunes filles de la bourgeoisie, laquelle, du reste, ne le demande pas ? Que les protagonistes du lycée de filles désirent que leurs filles soient instruites et éclairées, je le conçois : mais faut-il donc que ce soit la ville qui éclaire ?

Si l'on en croit ce bulletin L'Impartial, La Meurthe, L'Espérance et La Croix, qui représentent une notable partie des électeurs nancéiens, sont nettement hostiles. L'Est s'est borné à constater que la question ne pouvait pas ne pas se poser à nouveau, puisque le principe du lycée a été voté. Mais L'Est n'a pas exprimé son avis. Silence bien significatif ! Enfin, Le Progrès seul, en trois longs articles, soigneusement numérotés, se déclare partisan du lycée de filles pour des raisons métaphysiques, philosophiques et politiques, d'une grande élévation, sans doute ; mais il n'aborde pas la question des chiffres, la plus intéressante de toutes, à mon avis. Il me semble qu'il est difficile de déduire, de cette attitude de la presse nancéienne, l'existence d'un courant d'opinion bien vif en faveur d'un lycée de filles. Ce serait plutôt le contraire (6).

Monsieur Godechaux Picard, quant à lui, déclare : "Je trouve que nos femmes et nos filles sont parfaitement élevées et occupent dignement leur place dans la société et dans leur ménage... Je tiens essentiellement à ne pas détruire nos institutions laïques qui nous restent et nous suffisent !... il est injuste de faire payer à tous les contribuables de Nancy... le privilège d'accorder à quelques uns qui ont de la fortune, l'instruction à peu près gratuite pour leurs filles, d'accorder à d'autres des bourses entièrement gratuites..."

Mais le meilleur reste à venir. En effet "le lycée de filles est une œuvre antidémocratique par excellence" !