La loge Travail et Liberté
à l'Orient de Nancy

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Dès les débuts du fonctionnement de l'Atelier, de bons rapports s'établissent avec la Loge mère Saint-Jean de Jérusalem. On échange systématiquement les ordres du jour, on s'invite aux fêtes solsticiales et des Frères des deux Loges assiste mutuellement aux Tenues des deux Ateliers. En 1877, on parle dans une planche de "notre Sœur Saint-Jean de Jérusalem" et en 1879 "de notre Sœur Bien Aimée…". Le 13 mars 1880, "un accueil on ne peut plus fraternel et sympathique" leur est réservé à l’occasion de la fête solsticiale. On respecte le Frère Marchal, lequel communique régulièrement ses brochures maçonniques qu'on accueille comme il se doit par une analyse critique. On le verra particulièrement bien lorsqu'il sera question du vœu n°IX.

Dès 1875, on évoque la question d'une éventuelle fusion avec Saint-Jean de Jérusalem. On verra qu'après bien des hésitations, c'est la solution qui prévaudra. On s'achemine, en réalité, dès 1880, vers cette option qui sera cependant retardée jusqu'en 1882. En 1880, en effet, le Vénérable avait déjà donné sa démission, qu'il affirmait irrévocable, mais il avait accepté d'assurer la continuité du travail "pour un temps qu'il souhaitait bref". Il invoque pour justifier sa décision la lourdeur de la tâche compte tenu de son âge. Il faut dire qu'il l'avait déposée après deux Tenues consécutives qui n'avaient pu se tenir faute d'un nombre suffisant de Frères sur les colonnes. Le problème s’était par ailleurs déjà posé en octobre 1876 et le Vénérable avait du insister auprès des nouveaux initiés qui semblaient déserter la Loge dès l'initiation passée. On peut s'interroger sur leurs motivations et sur les conditions dans lesquelles ils étaient préparés, tout autant que sur la qualité d'un recrutement qui ne manque pas d'impressionner par son ampleur. Le manque d'assiduité s'était à nouveau posé deux fois en juillet et août 1879. C’était donc un problème récurrent dans cette Loge.

Les difficultés de l’Atelier sont bien mises en évidence par le Vénérable quand il "déplore la tiédeur qui s'est emparée d'une grande partie des membres de la Loge" et quand il "s'étend sur les funestes conséquences qui pourraient résulter de cet état de chose qu'il importe de faire cesser dans les plus brefs délais dans l'intérêt de la Loge ; il convie les Frères à s'enquérir des moyens propres à stimuler le zèle refroidi des Frères afin de donner aux Tenues toute l'importance qu'elles doivent avoir".

Un vote en avril 1880 en faveur de la fusion des deux Loges aboutit à un échec mais le résultat est serré : seize Frères se sont prononcés favorablement, dix-neuf s'y sont opposés. Un rapport avait été rédigé par le Frère Lajeunesse où l'on apprend qu'une délégation de cinq Frères de Travail et Liberté, dont certains défavorables à la fusion, avait rendu visite le 23 février au Frère Adam (2), Vénérable Maître de Saint-Jean de Jérusalem. Ce dernier leur avait réservé l'accueil "le plus sympathique et le plus fraternel" et leur avait indiqué "que la fusion des deux Loges était une chose désirable sous tous les rapports et qu'elle tournerait à l'entier avantage de la prospérité future de la Maçonnerie à Nancy". Le Frère Adam leur confirme le 12 mars suivant que le Conseil d'administration de la Loge Saint-Jean de Jérusalem était, à l'unanimité, favorable à la fusion et qu'il se portait fort de l'acceptation de cette décision par tous les Frères de cette même Loge. On évoquera en mai 1880 "la question des deux Loges de Nancy". C'est bien de fusion qu'il est encore ici question, même si les Frères de l'Atelier ne peuvent s'y résoudre. Certains d’entre eux, parmi les plus actifs de la Loge, annoncent alors leur démission et s'affilient immédiatement à Saint-Jean de Jérusalem.

La situation ira se dégradant avec des Tenues où l'on évoque régulièrement les problèmes de manque d’assiduité. Le 25 mars 1882, une proposition de mise en sommeil de l'Atelier est avancée. A l’issue d’une longue discussion à laquelle prennent part tous les Frères de l'Atelier "il résulte que la cessation des travaux est devenue une nécessité inévitable" les colonnes étant entièrement désertées.

Lors de la Tenue extraordinaire du mardi 5 avril 1882, malgré tous les efforts et le dévouement du Vénérable et d'un très petit nombre de maçons zélés, tout est consommé ! Les Frères évoquent l'affectation de leurs biens : une part ira au Servant, le mobilier non maçonnique au Cercle du Travail, quelques objets maçonniques seront donnés à la Loge Saint-Jean de Jérusalem. Ce même 4 avril 1882, à l'issue de la Tenue, les Frères de la Respectable Loge Travail et Liberté se quittent après avoir prêté le "serment de discrétion". La Loge n'est plus ; elle n'aura vécu qu'un peu plus de douze ans.

Cinq de ces membres seulement vont se replier sur les colonnes de Saint-Jean de Jérusalem, c'est dire à quel point la décomposition de la Loge était avancée. La plupart des Frères avaient depuis quelques temps déjà déserté le Temple. Ils ne reviendront pas à la Maçonnerie après le naufrage de leur Loge d'origine. Voilà ce que l’on peut dire à ce jour des circonstances de la naissance et de la mort de cette Loge.

Au delà des difficultés rencontrées, il est intéressant de considérer l'activité de l'Atelier. Il se préoccupe en permanence des problèmes de l'enseignement et notamment de l'obligation de l'instruction primaire. Il souscrit à l'action de la Ligue de l'enseignement créée par le Frère Jean Macé quelques mois avant son initiation, et notamment à celle de son cercle nancéien auquel il apporte son soutien financier. Dès 1870, il existe donc un cercle à Nancy. La Loge Travail et Liberté a-t-elle contribué à sa fondation ? Nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui de l’affirmer. En revanche elle en suit avec attention l'évolution. C'est ainsi que le 16 novembre 1871 les Frères se penchent sur la "situation préoccupante" de la Ligue à Nancy. Le 8 janvier 1872, ils soutiennent la brochure éditée par le cercle havrais sur le problème de l'obligation scolaire.

Les Loges s'intéressent au développement de l'enseignement et à la diffusion de la culture. Il n'est donc pas étonnant que Travail et Liberté évoque en 1874 l'opportunité de fonder une bibliothèque populaire. C'était chose faite à Saint-Jean de Jérusalem depuis quelques temps déjà. Le Frère Herpin quant à lui interroge les Frères au sujet de la bibliothèque de la Ligue de l'Enseignement de Metz, fondée par Vacca. Il les engage à la demander, même "à titre de dépôt".

On évoque également en 1876 la volonté de fondation par des Frères de "l'Ecole des sciences positives". Le Frère Orateur demande, au cas où cette école serait créée, que la Loge contribue financièrement à sa fondation.

On notera enfin que lors de la Tenue du 22 novembre 1879, le Frère Frank fait un rapport assez remarquable sur les mesures à envisager pour rechercher les enfants qui ne fréquentent pas les écoles, à l'image d'une société mulhousienne. Il propose diverses mesures telles la création de bourses, la fourniture de vêtements et d'objets de classe, prix, l’établissement de bibliothèques, l’installation d'écoles professionnelles, la participation active au sou des écoles laïques… la soupe de midi pour les enfants pauvres "et l'appui que nous devons donner à l'enseignement laïque des deux sexes, au point de vue moral".