Les inventaires en
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Comment la Loge présente-t-elle cette opération ? C'est naturellement au journal Pour la République qu'il revient de le préciser. Il le fait avec l'humour décapant des journaux de l'époque mais exprime incontestablement la position que veut faire passer la Loge. Le 4 février 1906, dans un article intitulé "Les Inventaires", il explique que les réactionnaires font grand bruit autour de cette opération qu'il compare à l'inventaire des meubles de la préfecture au départ d'un préfet !

"L'inventaire des biens des églises a donc pour but, tout simplement, de sauvegarder les intérêts des catholiques. Il pourrait, en effet, se trouver des curés qui, dans un esprit de lucre, ou pour satisfaire quelque vilaine passion, se mettraient à vendre des ciboires, ostensoirs et autres objets qui sont, non pas leur propriété, mais dont les catholiques ont, collectivement, la jouissance. Donc tout le bruit fait autour de ces inventaires est destiné à créer contre le régime républicain une agitation confessionnelle. Il appartient aux catholiques sincèrement libéraux, de ne pas se laisser duper encore une fois. La loi de Séparation, nous le montrerons dans une série d'articles, est essentiellement libérale. Elle ne blesse aucunement les consciences et n'entrave en rien la liberté des cultes. Le devoir de tous bons Français est de suivre les prescriptions de la loi nouvelle sans attendre les instructions d'un souverain étranger. Nous ne comprenons pas, en effet, que des gens qui se proclament plus patriotes que n'importe qui, aient besoin, pour se soumettre à une loi française, de l'avis du pape romain".

Les opérations, compte tenu de leur nature, devaient se passer dans la calme, et c'est précisément ce qui va se produire durant les mois de janvier et février. De simples manifestations de démonstration sont alors orchestrées dans le pays. Il s'agit pour l'essentiel de prières sur les parvis. On défend les édifices de culte en en barricadant les portes. A la campagne les hommes montent la garde devant l'Eglise. Dès mars, cependant, les incidents se multiplient, d'abord à Paris puis en province. Dans certaines régions, il y a même mort d'hommes. Plusieurs facteurs expliquent cette violence. Il y a notamment une mesure inutile, vexatoire et particulièrement maladroite ; le 2 janvier 1906, on demande l'ouverture des tabernacles. Les adversaires de la loi hurlent alors à la profanation, la presse catholique donne autant d'écho qu'elle le peut à cette mesure. Mais alors que l'abbé Lemire dénonce la rigueur qui présidait à l'application de la loi, reconnaissant qu'elle contient cependant des promesses de liberté et qu'elle n'est pas inacceptable pour les catholiques(2), alors que Ribot y voit même des avantages pour l'Eglise, notamment la nomination sans contrôle des évêques, la jouissance des églises par le clergé et les fidèles... notre évêque joue le boutefeu. Il n'a pas attendu pour ce faire, jouant sur le réflexe de peur. Dès janvier 1905, à l'occasion de la fête annuelle des hommes, on laisse imaginer la fermeture des églises : [...] "dans la cathédrale on surprenait ces paroles : c'est la dernière fois qu'une pareille cérémonie a lieu dans cette église dont on va s'emparer..."(3). Quoi que dise Hogard à propos de Turinaz, on peut se convaincre que l'Eglise ne fait rien pour détromper les fidèles et qu'elle spécule sur l'ignorance. Le 6 janvier 1906, la preuve en est administrée par Turinaz lui-même qui expose à ses diocésains les conséquences de la loi : "Plus de Dieu, plus de budgets des cultes... plus d'églises, plus de croix..."(3). La planche de la Ligue Antimaçonnique intitulée "les voleurs d'église" en est une belle illustration. Nous en reproduisons ici l'une des vignettes. L'évêque de Nancy voyait dans les inventaires la mainmise du pouvoir civil sur le pouvoir religieux. Pour lui, toute coopération directe était une participation à un acte essentiellement mauvais. Turinaz ne reste pas les bras croisés : "En prévision des événements, afin de ne pas être surpris par la mise en application de la loi, les prêtres du diocèse sont invités par leur évêque à rechercher, sans retard, les titres de propriété de leurs églises, de leurs presbytères et des biens qui en dépendent... Il envoya aux archiprêtres de son diocèse des instructions précises... Les curés et les Conseils de fabrique doivent donc s'abstenir d'y prendre part. Même en présence d'une sommation d'huissier, ils ne livreront pas les clés de la sacristie et du coffre-fort. Ainsi l'exige, selon lui, le droit incontestable de l'Eglise sur le mobilier destiné au culte divin..." On verra que les curés appliqueront ces consignes à la lettre ! Quand le lundi 22 janvier 1906, les événements se précisant, un inspecteur de l'enregistrement se présente à l'évêché, Turinaz lui oppose une fin de non recevoir. Il s'oppose aux inventaires, avec succès(4). Et pour faire bon poids, bonne mesure, Turinaz en appelle au châtiment de Dieu contre ceux qui ont voté la loi et la font appliquer. Hogard, à propos de cette résistance, parle d'une ovation du pays... "Désormais la lutte qui poursuit les congrégations religieuses se développe dans une sévérité implacable. L'attitude énergique du prélat, en face des prétentions brutales du combisme, lui vaut les applaudissements de la France entière. Le diocèse d'Avignon, en particulier, ému de son courage, recueille 3449 signatures de catholiques de toute condition, qui le félicitent sans réserve". On sent là l'écart qui sépare ces déclarations et le sentiment général de la population qui ne s'opposera pas aux inventaires lors de l'application de la loi de Séparation. On verra en effet que les incidents, finalement peu nombreaux, seront le fait de factieux et auront un sens plus politique que religieux.





De nombreuses églises de villages, livrées aux entrepreneurs de bastringues,

deviendront des bals publics ou des lieux de plaisirs

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