La loge Travail et Liberté
à l'Orient de Nancy
- Page
3

Pages : 1 - 2 - 3 - 4 - Notes

La Loge Travail et Liberté et la guerre de 1870

Moins d'un an après son installation, la Loge va connaître la plus douloureuse épreuve de sa courte histoire. La guerre de 1870 va planer pendant plusieurs années sur son existence et son activité. En juillet 1870, la Loge interroge le Grand Orient de France sur l'opportunité d'organiser une "ambulance". C'est ainsi qu'on appelait alors un hôpital militaire ambulant. Il s'agit en fait ici d'aménager un local pour assurer la prise en charge médicale des soldats blessés. La réponse est, on l'imagine, positive. "Le Vénérable Maître Frère Tisserand fait part à l'Atelier, qu'il a convoqué d'urgence des mesure que la Loge pourrait prendre envers les blessés qui seront envoyés à Nancy ; il pense que l'Atelier pourrait s'engager près de l'autorité à soigner vingt malades dans son local…" On fait appel aux Frères de Nancy.

La Loge Saint-Jean de Jérusalem ayant pris les mêmes résolutions, le Président du Grand Orient de France écrit au Frère Eugène Marchal : "Soyez l'interprète de nos sentiments près des deux Loges. Dites leur que l'œuvre qu'elles ont entreprise ne peut qu'obtenir l'assentiment de tous les cœurs et qu'il espère que le Grand Orient de France leur viendra en aide" (3). Cette initiative est accueillie très favorablement par le maire de Nancy. Les Frères s'attellent à la tâche, mais l'initiative sera sans lendemain, le dénouement de la situation militaire la rendant inutile. On lit en effet dans les Tracés de l'Atelier : "Entre le 6 août 1870 et le 15 avril 1871, par suite de l'invasion allemande, l'Atelier ayant jugé digne de suspendre ses réunions pendant les cruelles épreuves que la patrie a eu à subir, les travaux se sont portés vers un autre but. La Loge a mis son local à disposition, elle l'a converti en une ambulance qui malheureusement n'a pu servir, le pays ayant été occupé aussitôt l'achèvement de notre entreprise".

Les Frères ne savent pas alors que les conséquences de la défaite seront aussi dramatiques. Le 6 mai 1871, les Frères de la Loge reçoivent la visite de deux Frères, l'un de la Loge de Metz, l'autre de la Loge de Sarreguemines. Elles ne se sont pas encore sabordées, elles le feront un an plus tard. Le 13 mai, on félicite les Maçons de Paris qui s'efforcent "par une énergique démarche d'arriver à une conciliation avec Versailles".

L'activité de l'Atelier est freinée : tant que la ville est en état de siège certains Frères ont du mal à venir en Tenue. En raison de cette situation, Travail et Liberté se fait représenter au Convent.

Le 14 octobre, on apprend que la Loge de Metz demande le concours de toutes les Loges de France pour combler le déficit que lui ont occasionné les dépenses faites pour secourir les victimes du siège. Travail et liberté, également ruiné, ne peut participer à cette œuvre de solidarité. C'est aussi pourquoi, en janvier 1872, l'Atelier renonce à fêter l'anniversaire de sa fondation "vu l'état actuel de notre pays". Le 17 février 1872, elle participe cependant pour cinq cents francs à la souscription pour la libération du pays et décide également de soutenir les familles des détenus politiques et les orphelins de guerre. En août, elle se félicite du prodigieux succès de l'emprunt.

L'Atelier reçoit, comme Saint-Jean de Jérusalem, la visite de Frères des Loges situées en territoire annexé. Le 2 novembre 1872, on évoque ainsi la visite du Frère Villigrus de la Loge Les Vrais Amis de Sarreguemines. Le 19 janvier 1873, la Tenue s'ouvre en présence des Frères visiteurs Pignatel, Bourgon, Boudot, Goudechaux de Metz et Heitz, Bachelard et Demay de Sarrebourg, tous habitant Nancy depuis l'annexion. Le Vénérable leur ayant souhaité la bienvenue, "le Frère Pignatel répond en disant qu'ils se considèrent comme chez eux depuis leur entrée dans le Temple, puisqu'ils sont entourés de Frères". Quant aux Frères Heitz de Strasbourg, Bachelard, membre de la Loge de Belfort, ainsi que Demay, ils demandent leur affiliation à la Loge. Ils y sont agrégés le 8 février. Le 3 mai 1873, la Loge tire une triple batterie de deuil à la mémoire des Loges d'Alsace-Lorraine. On vote le même jour une médaille pour un monument aux soldats morts pour la défense de la Patrie. L'Atelier votera un peu plus tard, comme Saint-Jean de Jérusalem, une médaille pour la reconstruction du village de Fontenoy sur Moselle, rasé par les Allemands en 1871. Le 19 juillet, le Vénérable proposera "une éclatante batterie et une batterie de deuil à la mémoire de nos Frères restés à l'étranger".

Le 6 septembre, on fête par une batterie la libération du territoire. C'est la liesse. Le 30 novembre 1873, l'Atelier reçoit la visite de Frères des "défuntes Loges". Le Vénérable les remercie d'avoir bien voulu venir partager les travaux de cette fête d'adoption. "La présence de l'ennemi, ajoute le Frère Tisserand, a cessé de blesser nos regards et d'attrister nos cœurs, les douleurs de la patrie sont adoucies, mais il est impossible d'oublier que beaucoup de nos Frères se réunissent dans l'amertume d'un deuil ineffacé et qu'aux vivats de nos batteries, la Loge Alsace-Lorraine a substitué ce cri de douleur - France-Alsace-Lorraine-Justice – […] Vous êtes aussi bien que nous pénétrés de ce sentiment qui jette sur nos réunions comme un voile d'austère tristesse. Vous n'en êtes pas moins venus à nous car vous savez que la solidarité maçonnique nous unit dans le deuil comme dans la joie".