1904 : L'affaire DELSOL et le séparatisme

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L'hostilité de l'Eglise et de la droite nationaliste à la République, et particulièrement à la radicale, fait rage en ce début de XXe siècle. Celles-ci consacrent beaucoup d'énergie à tirer à vue sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à un républicain. Si en outre ce dernier est juif et (ou) Franc-maçon, on assiste alors à un véritable déchaînement des passions. A Nancy également, la Bonne presse martèle à longueur de colonnes sur la Gueuse et le Petit Antijuif de l'Est sur "...la France qu'on n'arrive pas à débarrasser de sa Républicanite youpino-infectieuse" (1). De même que l'affaire Schnaebele avait donné l'occasion à la coalition des nationalistes revanchards de tous poils de s'agiter, l'affaire de l'abbé Delsor allait constituer pour eux une nouvelle opportunité. Mais le brûlot destiné à envoyer par le fond le navire amiral "République" barré par Emile Combes va finalement et rapidement porter l'incendie au cœur même de la flottille nationaliste. Les protagonistes de cette affaire, nous allons le voir, sont les mêmes qu'à l'habitude : d'un côté l'Eglise, sa presse et les nationalistes du Petit Antijuif de l'Est, Santo (2), spécialiste de l'antimaçonnisme ; de l'autre, les journaux Pour la République et l'Etoile de l'Est, les républicains radicaux-socialistes, le préfet de Meurthe-et-Moselle, et naturellement les Francs-maçons de la Loge Saint-Jean de Jérusalem.

Voyons ce que recouvre cette affaire Delsor, dite également de Lunéville. Le gouvernement français avait interdit, sur le territoire français, le Volksfreund (3), journal catholique de Strasbourg critiquant violemment la politique française, journal que l'abbé Delsor avait assuré de sa sympathie en la circonstance dans la Revue catholique d'Alsace (4). Les nationalistes utilisant en outre la chapelle du Château de Lunéville pour faire de l'agitation antigouvernementale et y faire entendre les exhortations politiques du clergé, on avait décidé de fermer cette chapelle (5). L'abbé Delsor, à l'invitation du député nationaliste Corrards des Essarts, se rend le 7 janvier 1904 à Lunéville pour une conférence au Cercle catholique. Le préfet de Meurthe-et-Moselle prend alors un arrêté d'expulsion contre ce dernier qualifié en la circonstance de sujet allemand. L'abbé Delsor ne peut donc participer à cette conférence. La presse nationaliste se déchaîne contre une mesure touchant un Alsacien-Lorrain présenté comme un protestataire. Jean Grillon, Frère de la Loge Saint-Jean de Jérusalem de Nancy, futur député radical-socialiste, va nous montrer, preuves à l'appui, que l'abbé Delsor n'est pas un protestataire, qu'au contraire il s'est rallié à l'Allemagne, et que l'exploitation de cette affaire par la presse nationaliste l'est uniquement dans un but d'agitation politique.


La Revue comique par Albert Guillaume

Auditeur impatient

"C'est dommage que ce conférencier ne soit pas un prêtre alsacien..."

"..."

"y aurait des chances pour qu'on l'expulse..."


On remarque que l'arrêté préfectoral prend Delsor de vitesse : il est en effet pris le jour même de la conférence et l'abbé ne pourra donc pas y prendre part. Il faut attendre le 12 janvier, le Petit Antijuif de l'Est étant un hebdomadaire, pour que ce journal déverse sa bile noire habituelle et écrive sous le titre "Lunéville, une saleté :

Par un document en date du jeudi 7 janvier, monsieur le Préfet, considérant que Monsieur Delsor, sujet allemand, s'est rendu à Lunéville pour y prendre part à une réunion politique, considérant que la présence de l'étranger sus-désigné sur le territoire français est de nature à compromettre la sécurité publique, arrête :

Article 1er. Il est enjoint à Monsieur l'abbé Delsor de sortir du territoire français sans délai..." (6)

Le 19 janvier, le journal parle aux Alsaciens-Lorrains de "l'inqualifiable arrêté d'expulsion..." qui, naturellement, "horrifie toute l'Alsace !" Le Franc-maçon Humbert y est taxé de "germanophile préfet". Le 26 janvier, toujours à propos de l'affaire Delsor la même feuille écrit : "A Nancy, en la salle de la liberté, sous la présidence d'honneur de monsieur Keller, ancien député de Belfort, sous la présidence effective de monsieur Haas, ancien député protestataire d'Alsace, magnifique réunion de protestation contre l'expulsion de l'abbé Delsor... Nos amis, messieurs Terreaux et Santo... sont chaleureusement acclamés..." L'organe antisémite ajoute : "Vendredi 22 : A la Chambre, discussions des interpellations de nos amis Corrards des Essarts, Grosjean et Ferri de Ludres, sur l'expulsion de l'abbé Delsor... dans un langage empreint du plus pur patriotisme..." On retrouve cette formule à l'identique dans d'autres articles et notamment celui intitulé "Monsieur Piou à Nancy". Il s'agit là d'une formule typique, celle du fond de commerce de l'Antijuif. Il évoque enfin : "... l'action odieuse du Kreisdirector Humbert... le ministériel défensard Chaapouss (voir note), ayant eu le prodigieux culot de prétendre parler au nom des Lorrains patriotes, se voit vertement relevé par nos Amis Brice et Gervaize... Finalement la Chambre infâme et domestiquée, par 205 voix contre 243, vote un ordre du jour, qui, approuvant le ministre prussien, donne une confirmation solennelle au traité de Francfort...

Nous avons là l'essentiel des arguments du camp nationaliste.